Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal de bord de Caroline Ayrault
30 octobre 2017

Dans l'oeil d'Irma, St-Barth 2017

Dans l’oeil d’Irma

Témoignage de Caroline Ayrault
St-Barth 2017

 

Lundi 4 septembre 2017
23h57

On est à la veille du cyclone Irma...
J’ai passé la soirée dans les bars pour décompresser avec un ami. Il y avait une création de cocktail spécial hurrican au bar du Quarter, un mélange de blue lagoon, de rhum et de citron.
J’ai peur de l’inconnu, de l’ouragan, des bruits qu’il va faire. 
Je ne sais pas comment je vais gérer la peur.
Je n’ai jamais vécu de chose pareille dans ma vie. 
Les gens qui sont loin de moi, famille, amis ne se rendent pas compte de la tension qui règne ici. 
Certains me font même des blagues par textos, du genre: "Attention de ne pas t’envoler!", 
"Va faire du surf ça va être cool!"
La mer est étrangement calme aujourd’hui, il y a un gros silence dans la ville de Gustavia...
On entend parfois de petites rafales de vent, mais c’est tellement rien comparé à demain!
J’ai peur oui je l’avoue...

Un petit vieux de l’île m’a prise en stop aujourd’hui alors que j’allais faire quelques courses, il m’a confié qu’il avait vécu Luis, autre ouragan majeur qui s’était abattu à St-Barth en 1995. La pression était telle, qu’il avait l’impression que son crâne allait exploser. Ca m’a totalement rassurée sur ce je vais vivre bientôt...

En plus j’ai eut la bonne idée de regarder le film Bokeh, une histoire de fin du monde où tout les êtres humains disparaissent d’un coup, sauf un couple en vacances en Islande. 

Ne pas regarder ça avant un cyclone!

 

Liste de matériel écrite sur mon téléphone avant Irma:
Elle s’intitule "Liste ouragan"

Lampe de poche
Eau
Conserves pour 3 repas
Pull, legging, brosse à dent
Chargeur portable
Ordinateur
Petit carnet de croquis et crayons
Bougies
Jeu de cartes
Débrancher tous les appareils électriques
Fermer les volets
Rentre la table
Papiers d’identité
Lingettes
Eau de citerne pour se laver les mains
Laisser une fenêtre ouverte pour la pression du vent
Tampons
Casque audio
Multiprises

 

journal

 Page de mon petit carnet, écrite avant l’ouragan. 

 

 

Mardi 5 septembre 2017
10h25

J’attends Coralie,  Alex et Mathilde.
Mes compagnons de cyclone. Ca me rassure d’avoir un homme avec nous.
Ne pas céder à la panique, ça va être pire.
Ca sert à rien de se monter la tête, ça va rendre le moment encore plus pénible.
Profite d’être avec des amis, bois du rhum, dessine, écoute de la musique.
Profite de la vie, quelle qu’elle soit.
Respire.
Pauline m’a dit: "Ne te monte pas la tête, moi je suis sûre que ça va aller".
"Et demain tu pourras dire que tu as vécu un ouragan en buvant du bon rhum".
Penser à l’après, se concentrer sur l’après...
C’est ça qui est important!
LE FUTUR.

 

17h00

On est sur le balcon de la maison, on bois des bières et on attend. Pour l’instant on rigole.

Avant l’ouragan, je me suis abonnée à une page Facebook intitulée Météo Tropicale, 
tenue par Olivier Tisserant, un mec super calé en ouragan qui vit en Martinique. 
Voici le dernier message qu’il a publié avant le passage d’Irma sur les îles du Nord:

"Bonsoir,

J’étais en train d’écrire un bulletin... et puis j’ai effacé. De toute manière, à cet instant, les dés sont jetés et chacun, sur son île, sait à quoi s’en tenir et doit être préparé à ce qui l’attend. Et préparé au pire du pire en ce qui concerne les Îles du nord. Maintenant, c’est aux autorités et à Météo France de faire le job, et il va être difficile. Je ne veux pas interférer avec eux.

Soyez tous prudents. Vos vies ne doivent pas être mises en danger pour un quelconque bien matériel, même le plus précieux. Ne faites pas de choses inconscientes ou insensées. Veillez les uns sur les autres, soyez solidaires, et restez le même après tout ça.

Je pense très fort à vous et vous souhaite tout le courage et la force pour résister. 
Et un peu de chance aussi."

 

Jeudi 7 septembre 2017
8h00

Nous sommes tous en vie et on a beaucoup de chance.
Il fait soleil ce matin et ça fait du bien un peu de chaleur et de lumière.
J’ai du mal à réaliser ce qu’on vient de traverser. L’ île entière n’est qu’un champs de ruines.

Mardi matin tout le monde s’est préparé. J’ai pris à manger pour plusieurs jours, de l’eau, mon ordi, quelques fringues et mes bijoux préférés.
Coralie et Mathilde sont venues me chercher vers 11h00 et on est parties à Grand Cul de Sac dans leur maison. Nous sommes 7, six adultes dont une petite fille, Rose. Il y a Mathilde, Coralie, Alex, Bastien, Carine, Rose et moi. Il y a aussi un petit chien noir nommé Ulk et deux chattes, Chouchounette et Ninette (ou Starbucks). 
On est allé chez Coralie et Mathilde. On a scotché les fenêtres, cloués les volets. 
On a organisé les vivres.
Et on a commencé à boire quelques bières, à écouter de la musique sur le balcon.
On avait encore internet, et de la lumière.
Ca nous rassurait.
Un groupe d’amis est passé nous voir pour boire un dernier verre, puis ils sont partis et on s’est enfermé lorsqu’il a commencé à pleuvoir.
Le ciel était blanc.
On est ressorti pour le coucher de soleil, le ciel était en feu, orange, rouge, magnifique, je n’avais jamais vu ça avant.

Puis on a tout fermé et on a attendu le monstre.

Mes compagnons d’ouragan ont essayé de dormir, je suis la seule à être restée éveillée, j’avais trop peur de m’endormir et de me réveiller au milieu d’un désastre. Je voulais avoir pleinement conscience de ce qui arrivait. 
J’ai mis des boules Kies et j’ai pris la bouteille de rhum, un coussin, je suis allée m’assoire contre la machine à laver dans la salle de bain. C’était le seul endroit de la maison où je me sentais un peu plus en sécurité qu’ailleurs. J’avais encore Internet et je communiquais avec des amis. 
Tiens c’était drôle, leurs messages avait changé de ton. Ce n’était plus les petites blagues sur le surf, mais plutôt des messages comme: 
"Euh, Caro j’ai regardé la météo, tu es bien protégée? Ta maison est sûre au moins? Je m’étais pas rendu compte de l’ampleur de cet ouragan...j’espère que ça va aller!"

Je communiquais également avec des amis architectes sur l’île, je leur envoyais des photos de mon toit pour savoir s’ils pensaient qu’il était assez solide. Le problème c’est que le toit de notre salle de bain n’était pas en béton, et que si la maison s’envolait, nous n’avions pas accès à la citerne pour nous y réfugier. Le stresse était donc à son maximum.

 

bougie

Les bougies et la radio. 

Vers 3h du matin, Irma est arrivée.
L’un des derniers messages que j’ai eu d’Aurélien, un ami à Gustavia, c’était que ça y était, plus de lumière. C’est arrivé pour nous 10 min plus tard, on s’est retrouvé dans le noir, éclairé par nos lampes et bougies.
Et le bruit des vents a augmenté encore et encore, assourdissant, violent, traumatisant.
Un volet dans le salon s’est envolé, mouvement général de repli vers la salle de bain. On a embarqué nos sacs, quelques packs d’eau et de la nourriture, au cas où tout s’effondre derrière la porte et qu’on se retrouve coincé dans cette pièce.

On s’est retrouvé à 7 dans un petit espace de 5 mètres carré, avec le chien et les deux chats.
J’ai pris Ulk le petit chien sourd contre moi.
On a mis le frigo de la cuisine contre la porte à l’extérieur de la salle de bain et la machine à laver de l’autre côté,
afin de bloquer la pote au cas où...
C’était l’enfer.
On se regardait tous, Bastien transpirait, Coralie était blanche, livide. Alex restait calme, pour nous tous.
Je me disais, si même les mecs ont cette tête là, c’est que c’est vraiment la fin.
La petite Rose dormait, je ne sais pas comment, mais elle dormait. Les murs tremblaient.
De l’eau a commencé à rentrer sous la porte, à s’infiltrer dans la salle de bain. Je me suis dit qu’on allait finir noyé enfermé dans cette pièce comme des rats.

J’ai essayé d’imaginer quoi faire si le toit s’envolait, si on allait tous se donner la main et être projetés dans les airs. Je me demandais ce que devient un corps s’il s’envole dans un ouragan de catégorie 5. Est-ce qu’on s’évanouit de terreur? Est-ce qu’on est directement assomé par un projectile? Est-ce qu’on est secoué de longues minutes dans ce vent infernal?
J’ai aussi pensé à ce moment là: "Caro, comment as-tu fais pour te retrouver dans une merde pareille? Qu’est-ce qui a fait que dans ta vie, le hasard t’amène jusqu’ici, aux portes de la mort?"
Et je me suis fais une promesse, de ne plus jamais revivre ça.

Je crois qu’on a tous imaginé notre mort à ce moment là.
L’oeil du cyclone est arrivé, un peu de répit. Tout est devenu subitement calme. C’était le moment de passer au plan B. Cet œil d’Irma a probablement sauvé de nombreuses vies.
Et là, la propriétaire de la maison, qui était chez sa mère 100 mètres plus loin, est venue frapper à notre porte, tel le messie, pour nous ouvrir l’étage du bas de sa maison qui avait un toit en béton.
Cette femme a vraiment eut du courage de sortir dehors en pleine nuit avec une lampe de poche, de parcourir un chemin boueux jonché d’arbres arrachés, sans savoir quand l’ouragan allait reprendre, juste pour nous permettre de nous réfugier ailleurs.

On a vécu la seconde partie d’Irma avec un peu moins de peur.
J’étais recroquevillée sur le carrelage de la chambre, entre le lit et le mur, mes mains pressées contre mes oreilles. J’étais paralysée, je fixais la baie vitrée de cette fenêtre, je priais pour que le volet ne s’arrache pas. Je me disais que le lit me protégerait des éclats de verre si la fenêtre explosait sous la pression.

On a attendu...
6h de violence, de vent, de bruit.
Vers 8h ou 9h je ne sais plus, le vent s’est calmé. Il y avait un des deux chats avec moi sous le lit, il s’est mis à faire sa toilette tranquillement, je me suis dis que nous étions sauvés!

On a ouvert la porte, la désolation dehors. Tout était blanc, comme un cauchemar, la végétation verdoyante avait totalement disparu, les arbres semblaient brûlés.

 

Le jour d’après...

Dans l’après-midi, on a pris la voiture pour traverser l’île et aller à Gustavia.  Alex voulait voir l’état de sa boutique sur le port. Ce qu’on a vu en traversant l’île était effrayant.
On roulait assez difficilement, lentement, dans la boue, évitant parfois des arbres, des fils électriques ou des toits de maisons.
On se croisait en voiture, on regardait le visage des gens, pour voir si c’était des amis qu’on connaissait... Tous avaient la même expression sur le visage, triste, abasourdie. Lorsqu’on reconnaissait enfin quelqu’un, on s’arrêtait quelques minutes, pour échanger des mots de réconfort et des informations utiles qu’on ne pourraient plus échanger par téléphone avant un bon moment.

Des maisons arrachées, des arbres coupés ou pliés en deux, la cabane des surfeurs avait volé et atterri à l’envers dans le cimetière à 100 mètres, une voiture plantée dans une tombe. Centrale électrique arrachée. Piste de l’aéroport ensablée et inondée. La voiture de Julien en travers du parking de l’aéroport, plantée dans un muret, roues arrachées, fenêtres explosées, carcasse brûlée.

On arrive à l’entrée de la ville, de grosses vagues envahissaient la route d’accès et des rochers avaient été projetés dessus. On est partis à pied. Il fallait courir entre deux rouleaux de vagues pour espérer passer. 
J’ai eut peur et je leur ai dit que je les attendais à l’entrée de la ville. Le paysage était apocalyptique, la mer grise et déchaînée.

J’ai croisé Elodie, Jérémie, Caro et Pierre, on a échangé quelques mots, leurs visages étaient gris, choqués.
Je vois Brice et Marie qui arrivent à l’arrière d’un camion, on se raconte tout.
Je pars avec eux dans le camion pour voir si on peux trouver du réseau à l’hôpital pour appeler nos familles.
Mais je dois retrouver Alex, Coralie, Mathilde et Bastien.
Ils ne sont plus à la boutique. Je suis seule sous la pluie et la nuit tombe.
C’est l’angoisse. Je vois un homme au loin, je l’appelle, on traverse la main dans la main la jetée de Gustavia.
Je nous imagine emporté par une vague. Mon coeur bat à 100 à l’heure.
Je lui demande si je peux monter dans sa voiture pour qu’il me ramène à Grand Cul de Sac pour retrouver les autres. On commence à rouler, des embouteillages de tarés, tout le monde est sorti en même temps sur les routes et tout le monde veux rentrer avant la nuit noire effrayante, il n’y a plus d’électricité nul part.

Je me dis que je ne connais même pas le chemin de la maison des autres, ya plus de panneaux, les routes se ressemblent toutes ou plutôt ne ressemblent plus à rien.
Je demande au mec s’il peux m’héberger cette nuit, il me dit non, qu’il y a trop de verre brisé chez lui. L’entraide humaine n’est pas au rendez-vous. Du coup je sors de la voiture, je marche dans la boue, je commence à demander à chaque voiture s’ils peuvent me ramener chez moi, et là un cri: "Caroooo"
Je vois Coralie qui m’appelle à la fenêtre de sa voiture.
La chance est avec moi.
On est tous rentrés à la maison en chantant "Dans la jungle terrible jungle le lion est mort ce soir..."

 

La liste des choses qui m’ont fait tenir pendant qu’Irma se dechainait:

-mes boules Kies
-le rhum brun
-mes prières pour tous les dieux de l’univers 
-le petit chien noir Ulk qui était dans mes bras 
(un chien sourd heureusement pour lui)
-les blagues d’Alex
-le calme de Mathilde
-l’innocence de la petite Rose 
-Carine la bavarde
-Bastien le cuisinier
-la gentillesse de Coralie

 

 salledebain

Un autoportrait dans la salle de bain, avec les boules kies, le rhum brun,
les citrons, le gobelet en plastique et Ulk le chien sourd. 

 

Les bons moments après Irma:

-lorsque j’ai croisé mes premiers amis rescapés et que j’ai pu les prendre dans mes bras
-caresser un poussin noir
-boire un vrai café chez un ami qui avait l’électricité 
-manger du pain chaud de la boulangerie Choisy
-discuter sous les étoiles à la lumière d’une bougie, sans téléphone portable, en s’écoutant vraiment 
-le moment où le glacier Deauville a distribué toutes ses glaces qui étaient entrain de fondre aux passants pour que le stock ne soit pas perdu. (Le bonheur sur le visage des gens lorsqu’on leur a donné une glace après un cyclone)
-la femme qui m’a ouvert sa porte pour que je recharge mon portable sur son groupe électrogène, 
et qui m’a offert ma première boisson fraîche depuis des jours.
-lorsque j’ai pu prendre une vraie douche
-une nuit à la clim sans moustiques pour te dévorer (en mode Walking Dead)

irmalapoule

 

Après l’ouragan, avec la petite poule noire baptisée Irma. 

photophoto2photo3photo4

photo5photo6

photo7

photo8

 

Publicité
Publicité
Commentaires
G
J'aime bien l'ayrotisme de Carolyn.
Répondre
Journal de bord de Caroline Ayrault
Publicité
Journal de bord de Caroline Ayrault
Newsletter
Publicité